Richesses du lagon
Richesses du lagon - Les tortues, pondeuses ou mangeuses, deux populations différentes qui se croisent dans le lagon
Les tortues, pondeuses ou mangeuses, deux populations différentes qui se croisent dans le lagonVendredi dernier, les Naturalistes de Mayotte avaient convié deux conférencières au Conseil général pour un exposé sur les tortues. Mireille Quillard, responsable de l'Observatoire des tortues marines et à Mayotte depuis 14 ans était accompagnée par Katia Ballorain, biologiste et écologiste pour le bureau d'études Cara Ecologie pour répondre à la question suivante : Tortues marines de Mayotte, résidentes ou de passage ?
Alors : résidentes ou de passage ? Et bien, les deux. Les tortues sont à la fois résidentes et de passage puisqu'on a affaire à Mayotte à deux populations qui se croisent dans les eaux du lagon. En réalité, les tortues pour lesquelles Mayotte est le site d'alimentation sont résidentes, les pondeuses ne se servant de l'île que pour accomplir leur reproduction avant de retourner sur leurs propres sites d'alimentation.
Mais avant d'aller plus avant, Katia Ballorain a souhaité rappeler que Mayotte faisait partie des "points chauds de la biodiversité". Et la présence de tortues marines y contribue. L'île est un site de ponte parmi les plus importants au monde, mais également un très gros site d'alimentation, même si ceux-ci sont moins bien recensés et étudiés que les premiers. A Mayotte, il y a donc de quoi manger et pondre.
Sur les sept espèces connues dans le monde, cinq sont présentes dans la région et quatre dans les eaux de Mayotte. La plus commune, à la fois dans le monde et dans la région, est la tortue verte,
chelonia mydas. C'est donc elle que Katia Ballorain a décidé de mettre en avant, afin de mieux comprendre son cycle de vie et ses déplacements.
Dès son émergence, la tortue verte est en danger, à la fois à cause des prédateurs terriens, aériens et sous-marins et une petite tortue verte seulement sur 100 va réussir à échapper aux prédateurs. Elle gagne rapidement la mangrove. A ce stade, elle est encore carnivore et se nourrit d'invertébrés et d'alevins. Vers 5 ans, elle quitte la mangrove pour rejoindre les récifs coralliens. Elle devient essentiellement herbivore et migre vers les prairies marines qui vont la nourrir plusieurs mois d'affilée.
Vers 10 ans, elle acquiert sa maturité sexuelle. Elle entame alors un long voyage pour rejoindre sa région natale et assurer la pérennité de l'espèce. Cette information a été confirmée par un suivi génétique et photographique. En effet, baguer les bébés tortues est invraisemblable, les chercheurs devraient alors avoir recours à des puces électroniques, très couteuses compte tenu du trop faible taux de survivance. Reste que mâles et femelles se retrouvent sur leur île d'origine, vivent sur leur réserve de graisse et récupèrent de leur trajet migratoire pendant une longue période.
Puis c'est le début des parades nuptiales. L'acte sexuel dure 5 heures et la femelle peut stocker des spermatozoïdes pour féconder des pontes successives. Ainsi, à plusieurs reprises, elle rampe jusqu'aux premières végétations pour mettre ses œufs à l'abri des marées, met 1h à creuser son trou avec ses pattes arrières et, en une demi-heure, pond une centaine d'œufs qu'elle recouvre délicatement de sable. Durant la période elle pond plusieurs fois puis, complètement épuisée, commence son retour vers sa zone d'alimentation. Elle reviendra pondre tous les 3 à 6 ans sur cette même zone.
Des tortues très casanièresConcernant les tortues résidentes, celles qui occupent le lagon pour se nourrir, Katia Ballorain explique qu'il y a plusieurs axes de travail. Le premier concerne d'abord l'herbier : sa qualité, sa quantité et sa production. Le second touche à la tortue avec le recensement et les études individuelles. Enfin, les interactions entre l'herbier et la tortue sont étudiées et permettent d'évaluer la fréquentation et la consommation des tortues.
Parmi les sites pilotes, comment ne pas citer la plage de N'gouja ? Célèbre pour son ponton… Sur ce site prisé des touristes, les chercheurs font des observations, des identifications par baguages ou par photographies. Ils se sont donc aperçus que les tortues marines sont très fidèles à leur lieu d'alimentation. En effet, certains individus identifiés en 2003 y sont toujours présents.
Un autre moyen d'études existe avec les enregistreurs de comportements : les balises argos qui permettent de les suivre et les enregistreurs de plongée qui recensent les profondeurs et les durées des apnées. Grâce à ces deux outils, l'on sait qu'au sein d'un même site, elles sont attachées à une zone de l'herbier. Certaines font des escapades de temps en temps, un aller-retour vers la barrière par exemple, mais pas plus qu'une journée.
On sait aussi que les plongées les plus profondes et les plus longues ont lieu la nuit et correspondent à des plongées de repos, le jour étant destiné à l'alimentation. Cela permet d'évaluer le rythme de fréquentation : les tortues mangent durant environ 11 heures et près de 2 kg d'herbe par jour. Cette phase d'alimentation est cruciale car elle permet de déterminer le succès de la phase de ponte, dont le coût énergétique est énorme. Elles accumulent donc suffisamment de nourriture pendant 3 à 4 ans pour rejoindre leur lieu de ponte.
Pour le moment celui des tortues résidentes est inconnu, alors même que l'on sait que les tortues qui pondent ici mangent dans les zones est-africaines et ouest de Madagascar. En effet, sur la plage de Moya, trois agents ont posé des balises sur une dizaine de tortues pondeuses. En juillet, l'une a quitté Moya, traversé les Comores et longé la côte est africaine jusqu'à la Tanzanie, une autre est partie dans la direction opposée et a rejoint Nosy-Bé.
Prochainement, une dizaine de nouvelles tortues sera équipée de balise argos, avec pour objectif d'intégrer et de retracer tous ces trajets dans une base de données régionale et de la superposer avec d'autres données comme celles de la pêche hauturière par exemple.
1.000 pontes par an entre Saziley et MoyaUne autre partie de la conférence était consacrée aux tortues de passage, les pondeuses. C'est Mireille Quillard qui en a assuré l'exposé. Elle a rappelé les missions de l'Observatoire des tortues du conseil général : la surveillance à Saziley et Moya principalement, la sensibilisation sur les terrains ou auprès du public scolaire, le suivi et la recherche. Des comptages aériens et terrestres sont aussi organisés.
Pour identifier les espèces, les recenseurs se basent d'abord sur les traces, la tortue verte laissant une trace rectiligne et large de 1m, la tortue imbriquée une trace de 80 cm avec un tangage, mais aussi sur les pontes et le recouvrement des trous, la tortue verte étant très précautionneuse.
Les identifications ont permis de confirmer la présence des tortues imbriquées sur 53 plages, les tortues vertes étant présentes partout. Sur les 172 plages régulièrement survolées en ULM entre 2003 et 2008, un tiers des plages ne présente aucune trace, un tiers peu de trace et un tiers une forte fréquentation. Les zones très fréquentées sont peu nombreuses au nord et à l'est.
Le suivi à terre possède plusieurs avantages : il permet de constater les actes de braconnage et les changements sur les plages (érosion, déchets), en plus de la fréquentation. Environ 500 femelles par an sont observées à Saziley et Moya pour environ 1.000 pontes.
En plus de l'observation, l'Observatoire a aussi bagué 14.000 tortues entre 1994 et 2011, dont une centaine de tortues imbriquées. La responsable de l'Observatoire a rapporté le profil de plusieurs individus, dont "May1514" par exemple, marquée en 1998, relue 14 fois cette année-là dont 8 fois lors de pontes, relue 15 fois en 2001 dont 10 montées ont fait l'objet de pontes, et relue 17 fois en 2004 pour 9 pontes.
En moyenne, les tortues pondeuses reviennent tous les trois ans et peuvent rester 3 à 4 mois sur place pour pondre. Elles peuvent faire 15 montées, mais ne pondront pas forcément à chaque fois. On note un pic des pontes entre mars et aout, qui faiblit à partir de septembre. Les tortues imbriquées ne viennent que de fin aout à avril, mais Mayotte a la chance d'observer des tortues marines toute l'année.
Mireille Quillard a également souhaité dresser un état des lieux des menaces qui pèsent sur les tortues marines, le braconnage en tête. Ainsi, depuis 4 ans, 67 actes de braconnage ont été recensés en 2007-2008, 122 en 2008-2009, 82 en 2009-2010 et 64 en 2010-2011. Elle a rappelé que 6 mois de prison et 9.000 € d'amende sont possibles pour les contrevenants et que, outre ces actions de police, les actions de dissuasion sont organisées sur Moya et Saziley et ponctuellement sur d'autres plages. Un rappel utile : consommer une tortue peut s'avérer mortel à cause d'une maladie appelée chelonitoxisme.
La pêche accidentelle fait aussi partie de menaces pour les tortues, puisque l'Observatoire dénombre 47 à 256 cas par an. Autre danger, les blessures par chien ont tué 22 femelles entre 2002 à 2009. Enfin, il y a les fragments de déchets (sacs plastique qui provoquent un étouffement des tortues qui les prennent pour des méduses) ou encore les hélices de moteur. Elle a également rappelé l'interdiction de poser des filets aux abords des mangroves, des herbiers et des récifs et l'obligation de signaler les bivouacs sur les terrains du Conservatoire au 0269.64.98.55.
Enfin, un réseau d'échouage mahorais de mammifères marins et de tortues marines vient d'être officialisé et permet de centraliser tous les cas de découvertes d'individus morts au 0639.69.41.41.
Source:
http://www.mayottehebdo.com/2012021010104/richesses-du-lagon