Sauvetage réussi des tortues des GalapagosLa tortue géante de l’île d’Española, aux Galapagos, a bien failli disparaître. Sa population compte actuellement plus de mille individus issus de trois mâles et douze femelles
«George le solitaire» n’est plus. Vive la tortue d’Española! Le premier, qu’on croyait être l’unique représentant d’une espèce menacée de tortues géantes des îles Galapagos, s’est éteint en juin 2012 sans laisser de descendants. La seconde, une espèce proche de celle de George, mais vivant spécifiquement sur une des îles de l’archipel, Española, se porte en revanche beaucoup mieux. Après avoir frôlé l’extinction dans les années 1960, elle semble aujourd’hui sortie d’affaire: à l’issue d’un programme de réintroduction de longue haleine, sa population compte plus de mille individus, comme le relate un article publié récemment dans la revue Evolutionnary Applications.
Les îles Galapagos, situées dans l’océan Pacifique à 1000 km des côtes sud-américaines, occupent une place privilégiée dans l’imaginaire des biologistes. Ce chapelet d’îles volcaniques isolées abrite une biodiversité très particulière, que le biologiste Charles Darwin a découverte à l’occasion d’un voyage en 1835, et qui l’a ensuite inspiré dans l’élaboration de sa théorie de l’évolution. Sur ces îles prospèrent des espèces qui n’existent nulle part ailleurs, parmi lesquelles des iguanes marins mangeurs d’algues, des pinsons qui se nourrissent du sang d’oiseaux marins, ou encore des tortues géantes.
Quinze espèces différentes de ces tortues ont été décrites, dont cinq ont d’ores et déjà disparu, parmi lesquelles Geochelone abigdoni, de l’île de Pinta, l’espèce à laquelle appartenait George le solitaire. Mais pour cette dernière, tout espoir n’est pas perdu, il semblerait que d’autres représentants de ces espèces aient survécu sur une autre île (LT du 23.11.2012).
Les tortues des Galapagos, qui peuvent mesurer jusqu’à 130 cm de long et peser quelque 250 kg, constituent un formidable garde-manger, très prisé des pirates et autres chasseurs de baleines qui fréquentaient l’archipel au cours des siècles passés. «La tortue de l’île d’Española, appelée Chelonoidis hoodensis, a été beaucoup chassée, car cette île est la plus érodée de l’archipel, et donc la plus facile d’accès», relate Michel Milinkovitch, biologiste à l’Université de Genève, un des auteurs de l’étude publiée dans Evolutionnary Applications.
Avec les premiers visiteurs humains des Galapagos sont arrivées différentes espèces importées, dont certaines ont eu un impact dévastateur sur l’écosystème local. C’est le cas de la chèvre, redoutable brouteuse qui est entrée en compétition avec les tortues, également herbivores. Si bien que les effectifs des vénérables reptiles ont plongé: à la fin des années 1960, seules 14 tortues, deux mâles et 12 femelles subsistaient sur Española. Elles ont alors été transportées sur l’île principale des Galapagos, Santa Cruz, à la station de recherche Charles Darwin, qui se consacre à la protection de l’environnement sur l’archipel.
En 1977, elles y ont été rejointes par un mâle retrouvé au zoo de San Diego aux Etats-Unis et âgé d’une centaine d’années – la fleur de l’âge pour ces animaux qui vivent jusqu’à 175 ans. Tandis que ces tortues se multipliaient en captivité, un programme d’éradication des chèvres a été lancé sur Española, et achevé en 1978. Le rapatriement de jeunes tortues nées en captivité s’est alors intensifié; en tout, ce sont plus de 1700 C. hoodensis qui ont été réintroduites sur l’île jusqu’à aujourd’hui.
Dès 1994, des études génétiques ont été pratiquées sur ces tortues par Michel Milinkovitch et ses collaborateurs, qui sont ensuite retournés sur place en 2004 puis en 2007. L’analyse des résultats leur réservait une bonne surprise: ils ont montré que les tortues réintroduites avaient elles-mêmes commencé à se reproduire sur l’île! Ainsi, d’après le dernier recensement effectué, un quart environ des tortues vivant sur Española y seraient nées – et seraient donc les petits-enfants des animaux fondateurs exilés sur l’île de Santa Cruz… «C’est un beau succès d’être parvenu à reconstituer cette population à partir du petit nombre d’animaux qui subsistaient», estime le biologiste Lukas Keller, conservateur d’une exposition consacrée aux Galapagos, présentée actuellement au Musée zoologique de l’Université de Zurich.
Peut-on dire pour autant que Chelonoidis hoodensis est définitivement sauvée? Pas forcément. «D’abord, parce que cette espèce est circonscrite à un environnement très particulier, celui de l’île d’Española: elle est donc potentiellement à la merci d’un événement exceptionnel, tel qu’un incendie», estime Lukas Keller. De plus, la toute nouvelle population de tortues d’Española souffre d’un manque de diversité génétique, ce qui était prévisible, étant donné qu’elle descend de 15 individus seulement. «Mais en plus, tous les animaux ne se sont pas reproduits avec la même efficacité», explique Michel Milinkovitch. «Nos analyses ont montré que la majorité des tortues réintroduites avaient pour père les deux mêmes mâles, le troisième ayant eu beaucoup moins de succès reproductif», précise le biologiste.
Or cette faible diversité peut entraîner différentes pathologies ou malformations dues à la consanguinité. «Aucun problème de ce type n’est cependant apparu jusqu’à maintenant», tempère Michel Milinkovitch. Autre difficulté: une espèce au patrimoine génétique peu varié aura des difficultés à s’adapter à un changement de son environnement, l’introduction d’un nouveau virus par exemple. «C’est pourquoi nous essayons désormais de favoriser les accouplements entre des individus qui n’ont pas beaucoup été en contact, afin de maximiser les échanges de gènes dans la population», indique Michel Milinkovitch.
Quoi qu’il en soit, la tortue d’Española revient déjà de loin. Et de nombreuses années de travail ont été nécessaires pour reconstituer ses effectifs. Le jeu en valait-il la chandelle, alors que des milliers d’autres espèces sont également menacées dans le monde? «La préservation de la biodiversité des Galapagos se justifie, car ces îles abritent des espèces très importantes pour l’histoire de la biologie», défend Lukas Keller, qui participe lui-même à la conservation d’un oiseau menacé des Galapagos, le Moqueur de Floreana.
Exposition «Galapagos»,
jusqu’au 8 septembre 2013
au Musée zoologique
de l’Université de Zurich.
Source:
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6e47c226-6eff-11e2-97e4-a28a2f59960d%7C2#.UROjWh3lDa8